Tempête dans un verre d'eau

Publié le par An-Yes

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Enfin, le déménagement touchait à sa fin! Nous avions ramené de notre ancien domicile les derniers cartons. La maison qui nous paraissait si grande à la dernière visite avec l'agent immobilier, était à présent impraticable. Le sol était jonché de cartons, des gros, des petits par dessus, empilés comme autant d'obélisques grotesques... Nous devions enjamber une marée de cartons... Je jetais un oeil autour de moi, et soudain, la grisaille des murs me frappa d'une façon nouvelle. Il faudrait prévoir une bonne séance de peinture pour recouvrir les murs ternis. Soupir. Comme s'il n'y avait pas eu assez de frais comme ça. Mon compagnon se mit en devoir d'ouvrir quelques cartons. Il nous fallait bien trouver assiettes et couverts pour manger ce soir. Je l'imitais, m'emparant d'un cutter qui trônait par dessus la boîte à outils.

 « Zzzzzzzzzzzzzzziiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiihhhhhh » fit la lame en traçant sans accrocs dans le scotch brun. J'écarte les pans de la boîte... je trouve les assiettes. Pas celles que j'utilise couramment. Un vieux service dont je ne me souviens pas de l'avoir jamais vu en fait. A côté des assiettes, un paquet cylindrique, précieusement emballé dans du papier de soie. Je le prends à deux mains, me relève... Je commence à le déballer... Le papier sent... le vieux papier. Il crisse entre mes doigts, je vois apparaître un bout de porcelaine qui a l'air joliment peinte, je souris.
« Paul, mon coeur, j'ai fait une découverte! » dis-je à mon compagnon.
Il relève la tête, cesse de compter les cuillères, et s'approche de moi en enjambant les innombrables cartons. Toute excitée comme une enfant à Noël, je déchire fébrilement le papier, Paul me rejoint, mais en chemin, son pied reste coincé entre deux caisses, et il trébuche.... sur moi.... le vase fait un bref vol plané... le temps semble se figer...

"KRRAASSSHHHH" Paul jure sourdement. je me relève et constate l'étendue des dégâts... Du papier de soie déchiré, s'écoule un flot sec de petits morceaux de porcelaine fine, de toutes les couleurs... Je reste là, un peu déçue.... Paul se penche, et ramasse quelques morceaux.
« Désolée mon coeur... » dis-je d'une voix molle.
Paul ne dit rien, il reste devant les débris, à genoux, sa main gauche remplie de taisselle.
« Mon coeur? ça va?
Paul me répond, la voix tremblante de nervosité:
-Non, ça ne va pas !
-C'était un truc qui venait de ta famille? Je ne me souviens pas que tu me l’aies montré.
Il me regarde, l'air glacial:
-Ce n'était PAS UN TRUC !!! CONNASSE !! »

A cet instant, je me sens traversée par un courant froid et violent. Comment peut-il me parler ainsi?! Mon sang se met à bouillir :
-Dis donc, dis-je, parle moi autrement! Je suis désolée que ça soit arrivé, mais si tu n'étais pas tombé sur moi, je ne l'aurais pas lâché!
Il réplique aussi vif que l'éclair:
-PETASSE!! Si tu n'étais pas aussi empotée et curieuse, il ne serait pas en miettes!! T'as deux mains gauches, ma parole!!
C'en est trop.
-Hé, CONNARD! Si tu avais écrit sur les caisses ce qu'elle contenait, j'aurais pas été fouiller dans tes souvenirs de famille à la noix!! J’ai autre chose à faire que d'aller casser tes vieilleries! Cela dit, ça nous aurait épargné un peu de fatigue, si tu les avais jeté à la benne AVANT LE DEMENAGEMENT !! »
Il se relève d'un bond, et m'assène une baffe monumentale. Sur le coup, je suis sonnée, je vois trouble, faut que je reprenne mes esprits. Ensuite, attends mon gaillard, tu vas voir.

Il continue de m'insulter copieusement, mais je n'entend plus les mots, seulement le bruit de tempête de sa voix qui résonne dans la maison pas encore installée. Dire que j'allais faire ma vie avec ce gars là. Attends voir. Il est tout prêt de moi à présent, il hurle, vocifère, je suis concentrée, de la lave en fusion. Dans ma main, je sers le manche du ... cutter. Un grand geste large, dans sa sale gueule de con. Comme les samouraïs au cinéma. Je revois mon geste avec tant de précision... Il recule brutalement, se courbe, se tient le visage. Il souffle, aspire de grandes goulées d'air.
-Mais... MAIS???? SALOPE QU’EST-CE QUE TU M'AS FAIT?! »
Il pisse le sang. D’ordinaire, j'aurais accouru au moindre bobo pour le réconforter, mais pas ce soir. Il gémit, il souffre, il est pathétique. Il se dirige en titubant vers la cuisine. Je prends conscience qu'il va falloir que j'aille "jusqu'au bout"....
-Paaaauul? Reviens s'il te plait. Il faut qu'on discute de tout ça. »

Il a disparu de mon champ de vision, mais il fait du bruit dans la cuisine. Il cherche quelque chose. J'ai à peine passé la porte, qu'il m'écrase une bouteille sur la tête. La bouteille en verre explose sur mon crâne, déversant dans mes yeux un liquide brûlant! La bouteille de Whisky! Je hurle de douleur, me frotte les yeux, et cet enfoiré de Paul en profite pour me tabasser à l'aide d'une grande planche de bois. J'ai le souffle coupé, je tombe à genoux. Il continue de s'acharner alors que je ne peux plus bouger. J'entend juste Paul, qui me frappe, encore et encore.... et sa respiration sifflante, anormalement sifflante... Aurai-je touché plus bas que la joue? La grêle de coups cesse. La planche tombe à côté de moi, dans un bruit liquide. Paul me tombe dessus, m'enfonçant encore un peu plus dans les poumons mes côtes cassées affreusement douloureuses. 

Je sens que je n'en ai plus pour longtemps.... Lui non plus probablement... Ce serait con de mourir fâché, finalement... Je rassemble le peu d'air que contiennent encore mes poumons, et je lui parle:
« Mon coeur... Je suis désolée pour le vase...
Il me répond dans un gargouillis à peine audible. Mais il est couché en travers de moi, suffisamment proche pour que je l'entende:
-C'est pas grave mon ange. Tu ne pouvais pas savoir...
Un peu soulagée, je me sens partir, alors, dans un murmure…
-Je t'aime, mon coeur...
-Je t'aime, ma chérie... »
Puis, c'est le noir total. Déménagement final.

FIN

 

Publié dans Contes

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