Le couffin justifie les moyens

Publié le par An-Yes

rutabaga, pendule, couffin, fistule, miroir


Simone Latardé était l'aînée des trois sœurs. Les Soeurs Latardé étaient donc trois. L'aînée, Simone. La cadette Sigried. La plus jeune, Sistupide. Les soeurs Latardé avaient passées toutes trois les quatre-vingt ans... Et, n'ayant trouvé de maris, elles vivaient encore toutes les trois. Les petites mamies (qui n'en étaient pas vraiment, puisque n'ayant jamais eu d'enfants, elles ne pouvaient pas non plus avoir de petits enfants, et donc ne pouvaient pas prétendre au titre de « mamie »). Les petites mamies, disais-je, menaient une vie pépère. Et ce, bien qu'elles fussent toutes trois des femmes, et ne s'étant jamais mariées.  Simone, Sigried et Sistupide cultivaient un petit jardin derrière la maison. Au fond du jardin, il y avait même une petite cabane, où il était dit qu'une petite fille, au siècle dernier, aurait été décapitée par sa poupée... Simone binait les pommes de terre, c'était la plus alerte des soeurs Latardé, qui étaient au nombre de trois (Simone, Sigried, et la plus jeune Sistupide). Sigried, elle, arrosait les rutabagas. Quant à la dernière, la plus jeune des soeurs Latardé, qui se prénommait Sistupide, elle ne faisait rien, parce qu'on ne lui laissait rien faire. Non pas qu'on la crut incapable de rien, mais que bel et bien, elle ne savait rien faire de ses dix doigts. Sans compter les doigts de pieds.

Tout en binant les pommes de terre, Simone Latardé (qui était l'aînée, je le rappelle au passage), Simone disais-je, ôtait de la terre les cailloux et les pommes de terre pourries ou impropres à la consommation des trois soeurs. Elle en lança une qui tomba au pied de Sigried, qui la ramassa pour vérifier qu'il n'y avait vraiment rien à en tirer. Et elle (Sigried, la cadette) s'exclama, en riant doucement :
« Tiens, celle là, on dirait un petit bébé ! »
Sistupide, qui avait compris de travers, s'approcha et dit à son tour :
-OOOoooh! Un don du ciel sans aucun doute, que cet enfant trouvé dans la terre!
Sigried la cadette considéra avec bienveillance sa plus jeune sœur. (Sistupide, qu'elle s'appelait). Elle (Sigried) lui dit (à Sistupide) :
- Sans aucun doute, d'ailleurs, tu devrais en prendre soin, et même peut-être lui donner le sein, il doit avoir bien faim! »
Sistupide, la plus jeune des soeurs Latardé, ne se sentit pas de joie. Elle prit précautionneusement la pomme de terre verdie dans le creux de ses mains, comme le plus précieux des trésors. Puis elle s'en fut à la maison, pour découvrir son sein de vierge à l'enfant patate. Simone et Sigried, respectivement l'aînée et la cadette des soeurs Latardé, revinrent du jardin où elles avaient accomplies leurs tâches quotidiennes et respectives, pour assister au plus étrange des tableaux: Sistupide, leur plus jeune soeur, donnant à téter un sein plat comme un gant de toilette, à une pomme de terre aussi vivante qu'un caillou. Elles se moquèrent de Sistupide, mais cette dernière (au sens figuré comme au sens propre, puisqu'elle est la plus jeune des trois soeurs Latardé), cette dernière pensa que les deux se félicitait de la voir nourrir le bébé.
« Après tout, dit Simone, si ça l'occupe!
-Au moins, renchérit Sigried, pendant ce temps, elle ne fait pas de bêtises!
-Allez, fait ton rot, mon tout petit, » dit doucement Sistupide à la pomme de terre qu'elle avait posé sur le coin de son épaule comme on fait avec les enfants pour qu'ils fassent leur rot.

 Quelques semaines plus tard, les trois soeurs, Simone, Sigried, et Sistupide, sont toujours soeurs et vivent toujours ensemble. La pendule d'argent rythme leur vie monotone, dans un "tic tac" énervant pour le commun des mortels vivants. Et peut être aussi des morts. C'est le matin, et Simone dresse la table de la cuisine en formica (la table, pas la cuisine) pour le petit déjeuner. Sigried, la cadette, la suit de près, et met le lait à chauffer sur le feu (enfin, le gaz.). Sistupide tarde à se lever.... Les deux soeurs aînées (enfin, c'est Simone la vraie aînée, mais bon, pour Sistupide, les deux autres sont forcément les aînées) vont frapper à la porte de sa chambre. Sistupide répond en gémissant. Elle se sent très lasse. Simone et Sigried entrent timidement. Elles voient Sistupide encore couchée, serrant contre elle un paquet de linge, le fixant avec tendresse.
« Sapristi saucisse! Sistupide!ne me dis pas que tu as gardé cette pomme de terre, après tout ce temps!
-Quelle pomme de terre, Simone? » dit Sistupide, l'air surprise.
Sigried est saisie, car s'approchant, elle remarque une chose étrange... En effet, le paquet de Sistupide bouge! Et une petite main rose émerge des couvertures...
-Ah mes soeurs, je suis si fatiguée de lui donner le sein! Il mange bien, et devient fort, mais je n'en puis plus... »
Simone s'approche à son tour, et constate qu'il y a bien un enfant dans les bras de Sistupide.
-Mais où c'est donc que t'as trouvé cet enfant, Sistupide!?
La plus jeune répond avec un naturel confondant :
-Mais Simone, c'est toi qui l’as trouvé dans la terre, notre cadeau du ciel! »
Le bébé a les cheveux fins et blonds. Curieusement, son odeur rappelle celle de l'amidon de pomme de terre...
 -Mes soeurs, dit Sistupide à ses deux soeurs, j'ai attrapé du mal à force de le nourrir...
Et elle dévoile une vilaine fistule qui s'est développé à son téton gauche...
-Il faut, poursuit elle, il faut que vous preniez le relai....
Et joignant le geste à la parole, elle confie le bébé aux bras de sa soeur cadette Sigried Latardé. Simone, qui n'en revient toujours pas, se regarde dans le miroir de la coiffeuse, et se pince pour être sûre qu'elle ne dort pas. Et elle ne dort effectivement pas.

 Quelques années plus tard.... Les trois soeurs entament le centenariat avec aisance et bonheur. Leur enfant commun, ce cadeau du ciel trouvé dans la terre, est devenu un beau jeune homme grand et vigoureux. En plus, il réussit dans les affaires. Il a ouvert une baraque à frite, et comme le succès était au rendez vous, il a finit par ouvrir une chaîne de friterie... L'enseigne porte son prénom, celui que lui ont donné les trois vieilles filles, les trois soeurs Latardé, Simone, Sigried, et Sistupide : "Chez Vico, le roi de la pomme de terre".

FIN
 

Publié dans Contes

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