Destination le marais mouillé

Publié le par Nwman

nébuleuse, portrait, mouchelette, glacière, ragondin


Alex avait les boules, son voyage se présentait mal. L'agence l'avait pourtant prévenu : il pouvait y avoir quelques petites erreurs de calculs. En effet, il avait atterri sur une longitude et une latitude différentes mais, malgré tout, il avait l'air d'être en France. Sa capsule était partiellement inondée. Elle s'enfonçait lentement dans ce qui paraissait être un marais boisé. Le dépaysement a un prix, mais ce n'était plus vraiment ce qu'il cherchait depuis son histoire sur la nébuleuse d'Oris. Echoué dans un rade du port principal, typiquement un port de marin intersidéral de commerce, avec sa capitainerie aérienne et son plat traditionnel de kopak fumé, il avait négligé un détail essentiel : il était un touriste. Au détour d'une ruelle, après quelques verres qu'il avait partagés au bar dans les yeux oranges d'une autochtone, il n'avait pas vu arriver dans son dos deux costauds qui lui ont bien arrangé le portrait et totalement détroussé !
Résultat, retour d'urgence à la case départ, l'agence avec une bonne semaine d'hôpital. Alex s'est bien fait chambrer au retour par tous ses collègues de bureau.
Finie la totale aventure, on lui avait prédit sur Terre (logiquement Marseille) du bon temps sans trop de risques sur cette planète de sapiens sous-développés. Ce qu'on ne lui avait pas dit par contre, mais ça n'était pas prévu, c'est que les mouchelettes allaient l'assaillir dès qu'il sortirait le nez dehors. D'ailleurs, l'odeur était insupportable !

A y regarder de plus près l'endroit était lui aussi impensable : des canaux à perte de vue qui exhalaient les vieilles algues en décomposition. Entre les canaux, des petites étendues de terre cultivée -ce qui prouvait que c'était habité- ceinturées par des arbres verts. Alex entendit un bruit léger. Il se retourna et découvrit, sur une barque, un vieux paysan au visage marbré par la couperose.
« - Bonjour M'sieur, lui dit-il.
- Vous êtes chez moi là !
- Pardon.
- Vous êtes dans ma conge. C'est pas un endroit à touristes.
- A propos, où suis-je s'il vous plait ?
- Dans le marais mouillé, évidemment.
- Evidemment » fit Alex, entre le soulagement de ne pas totalement être perdu et la déception écrasante de se retrouver encore en carafe dans un lieu paumé. Tout à coup, un petit fourré fit un bruissement. Quelque chose sauta vivement sur Alex. Il sentit une violente morsure dans la hanche. Il chercha à la détacher mais plus il tirait plus cela lui faisait mal. Alors qu'il cherchait mentalement comment se sortir de cette situation -manifestement le vieux ne viendrait pas l'aider- il se rendit compte qu'il ne reconnaissait pas l'animal. Une boule de poils gris sombre, de la taille d'un petit chien mais avec l'aspect d'un gros rat, s'était suspendue à son flanc. Il eut soudain peur que la bestiole appelle ses congénères - ce qu'avait fait le vieux par contre - et qu'une meute de rats affamés vienne le grignoter jusqu'à l'os. Il ne verrait plus les couchés de soleils incroyables d'Alpha du Centaure. Alex frappa à travers les poils mais la bête tint bon. Elle accrocha ses griffes sur ses cuisses, peut-être pour mieux lui sauter au visage. Il vit ses yeux noirs, brillant d'une avidité maligne d'avoir trouvé un énorme et insolite garde-manger. Elle se pelotonna légèrement sur elle-même et
à l’instant où elle allait sauter, le vieil homme lui décocha un grand coup de perche. Alex fut saisi qu'un si vieil homme puisse frapper aussi précisément et d'aussi loin (trois ou quatre mètres) sans le toucher lui aussi. La boule de poil, loin d'être tuée, se cacha rapidement sous le tapis de lentilles. Sous le choc, Alex se trouva à genoux, ses jambes avaient lâché mais il eut assez de forces encore pour demander au vieux ce qu'était ce putain de truc horrible.
« - Un ragondin, dit le vieux. »
Alex s'évanouit. Quand il se réveilla, sa capsule avait été mise au sec, nettoyée et semblait prête à partir. Il avait froid et sa tête tournait légèrement.
« - Vous avez un peu de fièvre ,lui dit le vieux, vous devez repartir. Nous avons programmé votre capsule pour le retour d'urgence, il vous restera juste à déclencher l'action.
« - Merci, dit Alex »
Le vieux montra à Alex une petite glacière et lui dit :
« - Nous t'avons préparé un petit casse-croûte pour la route et un petit souvenir de la spécialité du marais mouillé.
- Très bien » dit Alex qui ne souhaitait plus que d'être de retour chez lui et pris en charge par un hôpital quelconque, du moment qu'il pourrait s'en tirer vivant, cette monstruosité était peut-être venimeuse ! Il remercia tout le monde pendant qu'on le transportait dans la capsule, ses jambes étaient cotonneuses. Le vieux allait refermer la porte sur un voyage encore une fois raté mais Alex retint son geste par une dernière question.
« - C'est quoi votre spécialité ? »
Le vieux se prit d'un rire énorme et glissa entre deux respirations et juste avant de bien claquer la porte pour la sécuriser :
« - Du pâté de ragondin bien sûr ! »
 

FIN



Publié dans Contes

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