L'abomination du cauchemar de là-bas que je suis d'ailleurs

Publié le par Fregius

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Si j'écris ces mots c'est que je ne sais lorsque mon esprit sera vraiment encore en état de fonctionner. Puisse ma main ne pas trembler alors que je couche par écrit les pensées délirantes d'un viedjpaign pp. Ah ben zut, elle a tremblé… Je ne sais plus vraiment quand mon esprit a quitté les rails de la raison pour venir prendre l'embranchement de la folie... mais de fait, il s'est égaré...

Cela remonte à l'époque où j'exerçais la modeste profession d'orthodontiste, dans la banlieue sud de Boston. A l'époque, l'appareil dentaire n'ayant pas été inventé, j'avais du temps de libre pour suivre mon oncle, taxidermiste, dans des séminaires aux quatre coins du globe. C'est ainsi qu'un fameux week-end de Juin, je fus amené à visiter une petite ville portuaire du sud de la France, un charmant pays aux habitants colorés et accueillants, aux accents chantants et... ah non, je confonds avec l'Italie... Non, ils étaient grincheux en fait.

Nous avions réservé par télégramme une chambre à bas prix à l'auberge de la fameuse petite bourgade, et quelques jours avant la convention tant attendue, nous nous sommes installés dans ces pittoresques appartements provisoires. Féru d'antiquité comme on me connaît, j'avais pris sur moi de laisser mon oncle à ses affaires, un espadon d'un fort beau gabarit, ma foi, commandé par ces pécheurs aux traits si particuliers, qui avaient l'habitude d'arpenter les docks de la petite cité.

J'eus donc tôt fait de me mettre en quête d'une quelconque boutique pittoresque, où je saurais débusquer la perle rare qui rendrait mon somptueux voyage plus enrichissant encore. C'est dans un bazar, posée pittoresquement le long des quais qui serpentaient la vieille ville, traversée par un bucolique petit canal, que je me lançais à corps perdu dans cette quête à l'oiseau rare. Quelle ne fut pas ma surprise quand, entre deux tomes en édition originale de "Cuisinez vous même vos seiches à la mode de chez nous" par Abdul Al-Azhred, l'arabe gourmand... Quelle ne fut pas ma surprise, donc de voir que le lecteur avait perdu le fil mais je m'égare… Quelle ne fut pas ma surprise, donc, de trouver entre ces deux objets d'une valeur inestimable, un objet d'une valeur encore plus inestimable encore : celle d'un polyèdre dont les formes hantaient mon esprit depuis que je m'étais intéressé à la géométrie. Négociant de manière fort habile le prix avec l'un des autochtones qui gérait, de manière maladroite, la boutique, je m'en allais de l'endroit en ayant payé l'objet une poignée de roupies, et un carambar périmé.

De retour à l'hôtel, j'exposais ma formidable trouvaille à mon oncle, qui, je le remarquai alors, semblait plus pâle qu'à son habitude. Il eut tôt fait de dissiper mes craintes, prétextant que l'espadon n'était pas frais. Je l'entendis cependant à plusieurs reprises marmonner des choses au sujet du regard vitreux de son client. C'est lors de la première nuit que nous passâmes dans cette auberge que survint le plus étrange des évènements.  Au milieu de la nuit, je fus réveillé par le craquement des lattes de bois sur le plancher du couloir. Je me levai aussitôt pour constater quel mystérieux et importun visiteur venait ainsi troubler mon précieux sommeil. Quelle ne fut pas ma surprise quand, entre un bouq... euh, sur le plancher du couloir, je découvrais un mystérieux petit rongeur, les pattes postérieures mystérieusement hypertrophiées, et affublé d'une queue longue d'environ deux pouces un tiers. Mes connaissances en zoologie me permirent d'identifier la créature comme appartenant à la classe des vertébrés… C'est tout ce que je parvins à identifier de l'animal. Le reste de la nuit se passa sans incident notable, sinon les cris d'une femme de joie qui, apparemment, refusait qu'on l'embauche à crédit.

Le lendemain matin, je pris sur moi de me rendre à la bibliothèque municipale, dont la réputation n'était plus à faire, afin d'en savoir plus sur ce mystérieux reptile que j'avais croisé quelques heures plus tôt . Passant devant la place de la mairie, originalement baptisée "Place de la Mairie", je fus saisi par l'aspect répugnant d'une statue ornant une fontaine au centre de la terrasse. Une sorte de céphalopode, sculpté dans une matière indicible, semblait cracher de l'eau de toutes parts, et même d'ailleurs encore, dans un bac dans lequel même le plancton ne paraissait vouloir subsister* L'eau était plutôt claire, quoi… Je me rendis donc à la bibliothèque de la ville, et consultait la guichetière au sujet des différents ouvrages en matière de zoologie dont l'établissement semblait être pourvu. Me fixant de ses yeux étrangement grands et luisants, elle me répondit de cet accent guttural typique des gens du sud, que tous leurs ouvrages concernant les animaux pouvaient se trouver au rayon "pèche et tradition". Ecumant les ouvrages, ne comptant plus les heures, je développais une connaissance abyssale du peuple de la mer, et de ceux qui en vivaient, mais impossible de mettre la main ni sur un nom, ni sur une photo de cette foutue gerboise.
 
Je quittai donc l'édifice public bredouille, ou plutôt, « brecouille », comme on dit, dans le bouchonnois, pour rejoindre mon oncle à sa convention, qui battait maintenant son plein depuis plusieurs heures. Parmi les stands des plus experts des taxidermistes de la région, je fus interpellé par le talent d'un artisan local, je l'avais reconnu grâce au trait si familier maintenant des hommes de la ville qui, paraissent ne faire plus qu'un avec la mer. Il me montra la manière habile dont il exécutait l'empaillage d'un poulpe d'un fort beau gabarit d'une seule main, tout en récitant une comptine obscure dans un patois local savoureux, dont je me permets de retranscrire ici un extrait :
 
"Ïa Ïa ftaghn, papa sera content, ph'n glui, maman aussi"
 
Stupéfait, je rejoins alors mon oncle à son stand, dont le teint me paraissait avoir pris encore plus de blancheur (à mon oncle, pas au stand, suivez un peu, c'est fatiguant pour un vieillard de se répéter). Celui ci m'avoua alors ne plus avoir envie de rester une minute de plus dans cette petite ville aux accents si méditerranéens. Je lui conseillais alors d'attendre la nuit prochaine pour se décider, et le lendemain matin, nous aurions tôt fait de mettre le plus de distance entre cette cité et notre diligence.

La nuit suivante fut, finalement, la pire de toutes, contrairement à ce que j'ai écrit. Mais c'est ma mémoire qui me joue des tours. J'entendis encore une fois gratter au plancher devant ma porte. Armé d'un tisonnier, je me décidai à aller traquer le fâcheux rongeur qui entachait ainsi une nuit pourtant calme et sans histoire. Quelle ne fut pas ma stupeur (vous avez cru que j'allais encore écrire "surprise" hein ? mais non... Pépé il est vieux et malade, mais pas encore sénile) lorsque j'aperçus, en lieu et place de l'animal, un homme du cru, quasiment nu,  accompagné d'un collègue, affublé d'une pittoresque cagoule façonnée dans un cuir souple et rosé.  Je compris vite les intentions mauvaises de l'individu lorsque, prononçant une logorrhée de "Ïa Ïa, Popa Dagon et M'man hydra ph'nglui" il brandit une fourchette et un couteau à dents à mon endroit. D'un coup de tisonnier bien placé dans les branchies, j'envoya bouler mon premier adversaire dans le couloir, tandis que je refermais la porte de ma chambre sur les doigts palmés de l'encagoulé, qui émit des glouglou de protestation mais sans non plus grande conviction, une question d'habitude, sans doute… J'utilisais alors la seconde porte de ma chambre pour me rendre dans celle de mon oncle, adjacente, et c'est là que je découvris l'horreur indicible, la scène à laquelle j'assistais me parait impossible à décrire, même dans des cauchemars les plus fous, je ne saurais la raconter.

Dans cette pièce, mesurant environ 10 coudes de larges pour 30 pieds de long, avec un plafond de deux mètres cinquante, sur le lit à baldaquin, aux tissus richement décorés de motifs orientaux, comme on en fait plus même dans les souks les plus huppés de Casablanca,  gisait le corps de mon oncle, nu, posé sur le ventre. Dans la peau de son dos, un trou y était découpé, méticuleusement, figurant un grotesque visage en négatif, de petits disques de peaux étant encore logés à l'intérieur. Je ne cherchai alors pas à comprendre ce qui risquait de m'arriver, et prenant mon courage et la fenêtre à deux mains, je sautais dans la rue en contrebas, prêt à héler le premier pousse-pousse en stationnement. La chance me guidant, j'embarquai dans un pittoresque véhicule comme on n'en fait uniquement dans ces régions reculées du globe et, faisant tinter ma bourse de kwacha, encourageai le conducteur à mettre le plus de lieues possible entre la bourgade et moi.

Aujourd'hui encore, je ne dois mon salut qu'au travail exemplaire et à la volonté de fer de ces gens issus de l'immigration, des travailleurs comme on en fait plus, prenez en de la graine petits cons… Mais depuis ce jour, il ne se passe pas une nuit, une sieste, ou une absence sur la selle, sans qu'en moi me reviennent les souvenirs effroyables de cette nuit là : ce rongeur dont le nom m'échappe encore, et que je ne connaîtrais pas avant que ma dernière heure ne soit venue, un jour ou les étoiles ne seront probablement pas plus propices que maintenant, mais bon, comme on dit à R'Lyeh, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a.

FIN

Publié dans Contes

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