Tragédies potagères

Publié le par Narf

rutabaga, péremptoire, tunnel, voile, salade


L'histoire que je vais vous conter n'est pas une histoire. Ni un conte d'ailleurs. C'est une brise légère qui parvient à tous ceux qui savent l'entendre. C'est un tout, enfin, pour certains un rien, ce qui en fait une certitude, un ensemble existant, et absent à la fois. Cette brise nous raconte bien des choses, en particulier il y a ces images que je vais vous mettre en mots pour ceux d'entre vous qui ne pourraient les saisir. C'est l'histoire d'un début, enfin, d'une continuité qui commence.

Il s'appelait beauté, il s'appelait amour. Et ils étaient deux, les mains nouées par-dessus leur coeurs ils avançaient d'un pas certain. Le début d'une fin, la fin d'une continuité. Dans leur bulle, dans leur cellule fermée de l'intérieure, ils savaient ne rien savoir et ça leur plaisait. La vie pour eux n'était qu'un long tunnel où rien d'autre qu'eux-mêmes n'existait et ils avaient peut-être même raison. Ils avançaient dans ce tunnel sombre. Aveugles qu'ils étaient ils voyaient grâce à leurs âmes unies.
Un jour, alors qu'ils avançaient dans ce tunnel, un évènement se produisit, un évènement qui bouleversa leur petit monde. La conscience leur fut donnée, comme pour gratifier leur amour certain, l'un et l'autre, perdu l'un en l'autre, vivant l'un contre l'autre... La lumière qu'ils n'avaient jamais demandée leur fut offerte. Tout ce qu'ils ne recherchaient pas leur fut donné. Et la lumière fut. Petit à petit le monde alentour fut offert à leur vue et ils purent admirer le grand soleil qui les réchauffait, la terre qui les nourrissait, et pour la première fois ils purent se voir tels que nous le concevons. Après l'émerveillement des premières images, ce fut un choc. Un détail les prit à la gorge. Dans leur union, ils étaient semblables à tel point que l'ont aurait eu du mal à discerner l'un de l'autre
dans les ombres, ils s'aimaient d'un amour identique. Mais là... Une feuille de rutabaga enserrant tendrement celle d'une salade...
Un amour impossible, et ils le savaient, autour d'eux déjà les regards du potager pesait le poids d'un monde. Comme un sentiment péremptoire leur annonçant leur triste fin, ils se mirent à pleurer. Alors, puisque ce cadeau qu'ils n'avaient pas voulu leur avait apporté la souffrance, puisque leur amour les blessait au plus haut point, sans un mot, d'un simple regard, et, par une nuit de pleine lune, ils décidèrent d'en finir, ensemble et loin des autres. De rejoindre ce lieu où, jadis ils avançaient, seuls et libres. Lors de cette nuit, les deux légumes se déracinèrent sous le regard triste d'une lune impuissante. Tout ce qu'elle put faire fut de déposer en leur lit de mort, un voile de lumière, nimbant leur mort d'une sérénité languissante...

Le lendemain, le potager reprit son cours, et rien ne changea, rien... Comme avant, l'histoire continua. Histoire d'un début, le début d'une continuité. Les feuilles enlacées, un peu plus loin, une courgette enserrait un concombre, sans savoir la fin qui les attendait. L'histoire d'une fin, la fin d'une histoire...

FIN
 

Publié dans Contes

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