La sorcière qui ne savait pas pleurer

Publié le par Luna

fantôme, lanterne, détraqueur, oignons, marmite


Il fut un temps, un temps pas si éloigné que ça, une marmite. Mais cette marmite n'était pas une marmite ordinaire, non loin de là : elle avait reçu le don de la parole. Toutes les marmites ne peuvent se vanter d'avoir ce don, les sorcières brûleraient encore sur le bûcher sinon. Bref, une marmite parlante donc, mais ce n'est pas forcément le fait que cette marmite parle qui était le plus impressionnant. Non, non. C'est plutôt le fait que cette marmite appartenait à une sorcière pas banale. Cette sorcière s'appelait « la sorcière aux oignons ». Elle s'appelait ainsi car depuis sa plus tendre enfance elle adorait éplucher les oignons et elle se vantait de par le monde de ne jamais pleurer. Non jamais cette femme n'avait versé une larme. Or, c'est un peu ce qui faisait sa force.

Un jour, elle apprit par hasard par une de ses consœurs que les larmes étaient une vertu, et qu'elle ne savait pas ce que celle-ci manquait. Elle partit donc avec une charrette (il est difficile pour une sorcière de voyager léger) qui contenait son fameux chaudron, ainsi qu'une lanterne, plus un nombre incalculables de fioles (on ne sait jamais, des fois que ça pourrait servir). Dans toutes ses fioles, plusieurs poisons, plusieurs philtres... Oh!, son chaudron lui avait bien conseillé de ne pas quitter sa demeure, que les larmes sont de bien mauvaises choses, que c'était là l'émanation du malheur, etc. Mais qu'importait les conseils de ce chaudron enchanté qui n'était bon qu'à contenir ses potions. Elle lui ordonna de se taire et partit ainsi chargée de ses fardeaux.

Elle marcha, marcha pendant des heures, sans apercevoir âme qui vive, et son chaudron de dire : "tu vois, je t'avais bien dit", et elle de répondre "tais toi donc mauvais génie, et laisse moi tirer mes fardeaux". Chemin faisant, elle finit par arriver dans un bois très profond, la nuit était très sombre. Elle pouvait apercevoir des ombres qui auraient fait fuir n'importe quel être censé et doué de raison. Mais peu importait, elle avançait encore, tirant ce fardeau, avec son chaudron que l'on pouvait entendre marmonner. Elle se saisit de sa lanterne pour y voir plus clair, elle était fatiguée aussi, elle trouva donc une clairière et décida de passer sa nuit ici. Elle ramassa du bois et fit un feu. Les flammes étaient rassurantes. Elle posa sa marmite dessus afin de manger les quelques légumes qu'elle avait emportés (elle était végétarienne cette sorcière). Le chaudron aimait bien servir de contenant pour nourrir la sorcière, cela lui donnait une impression de dominer l'essentiel chez cette faiseuse de sorts.

Elle commença à manger, puis entendit une voix si paisible et si caverneuse qu'elle aurait fait trembler n'importe quel stoïque. Elle cria "qui va là", mais aucun son ne sortit. Elle sentit monter en elle une sorte de frisson.
"Un fantôme peut être !" se dit elle, "oui, ça ne peut être que cela."
Alors elle interrogea son chaudron :
"Que me conseilles tu, chaudron parlant ?"
Celui ci de répondre :
"Non, non, je me tais, je suis un chaudron de malheur etc. etc."
La sorcière rentra dans une colère folle, une rage profonde mais la voix se remit à hurler de plus belle. Alors la sorcière cria une nouvelle fois :
"Montre toi si tu l'oses fantôme !"
Son détraqueur ne donne aucun écho à sa demande. Alors elle se leva, se dirigea vers sa charrette et ses fardeaux, regarda dans ses fioles, sortit l'une d'elle puis lança sa mixture ainsi qu'une incantation étrange (dans un langage de sorcière probablement). Alors, une ombre noire, une ombre des plus noires se manifesta, cette vision aurait fait pleurer n'importe qu'elle humain raisonnable. Mais non, cette sorcière ne savait pas le goût des larmes. Elle s'approcha du fantôme, de cette ombre épaisse. Celui-ci n'était pas si impressionnant que ça en fait à la lumière de sa lanterne : une ombre obscure qui s'éclaircit. Mais un vent se leva, un vent terrible et la lanterne s'éteignit, la sorcière n'avait plus que le brasier de son feu pour toute lumière et son chaudron parlant. L'ombre prit toute la place et la sorcière n'osait regarder. Le chaudron lui interdisait formellement de le faire d'ailleurs, sous peine de se transformer en pierre, une pierre si dure que seule une larme venant du fond de son être pourrait la faire revenir. Mais vous connaissez les sorcières et leur terrible curiosité… Elle sentait une chaleur épaisse l'envahir, puis des bras si tendres qu'elle ne put s'empêcher de lever les yeux pour regarder d'où pouvait provenir tant de tiédeur, alors elle regarda et elle devint dure comme une pierre. On entend encore le cri de satisfaction de l'ombre qui s'enfuit.

Le chaudron était bien ennuyé, vous pensez bien, lui tout seul avec une sorcière de pierre incapable de verser une larme. Alors, il décida de lui conter une histoire chaque jour. Chaque jour il conta. La sorcière de pierre sentait monter en elle une étrange chose en elle pour son chaudron.
Sept années s'écoulèrent ainsi. La sorcière tomba finalement follement amoureuse de son chaudron (chose que l'on avait jamais entendu dans toute l'histoire et même la préhistoire des sorcières), c'est pour dire. Il arriva donc un jour où celle-ci sentit dans son corps une chaleur vive, puis une colère, qui laissa place au désespoir. C'est alors qu'une larme perla le long de sa joue. Le charme fut rompu, elle redevint de chair. Elle s'approcha de son chaudron, mais l'ombre revint. Elle rentra donc dans son chaudron, et celui-ci devint alors un magnifique guerrier, un prince sûrement mais pour une sorcière un prince, ce n'est pas bien raisonnable. Disons un guerrier fort et courageux… C'est alors que l'ombre entra en lui, et une lumière jaillit…

Et ils vécurent heureux pendant de nombreuses années, mais ils n'eurent pas d'enfants... trop occupés qu'ils étaient à batifoler sur les chemins. Il en est ainsi quand notre part d'ombre nous pénètre.

FIN

Publié dans Contes

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