Quand Lily s'en mêle, mêlez là à ce qui vous regarde

Publié le par Boulègue et Fimbrethil




« Approchez, approchez, mesdames et messieurs, approchez, venez voir l'attraction la plus incroyable de ce début de siècle, venez voir, la femme serpent, miss cobra Dee, l'homme tronc, trouvé dans une église, le géant des Carpates, la femme à barbichette, et l'exxxxtraooordinaire homme marmotte, qui peut hiberner 6 mois devant son poste de tsf... » (musique, rires, pétards, ambiance de fête foraine) «… avancez, avancez ladies and gentlemen, entrez dans la ronde de la file d'attente et donnez à vos yeux l'aventure de dimensions interdites ! »

L'homme corpulent caressait sa moustache tout en comptabilisant la foule de badauds se mouvant en direction de sa voix de ténor, d'un oeil connaisseur il s'attardait sur les formes rondes qui se dessinaient sous les robes longues et blanches et sur les larges portefeuilles qui faisaient leur sortie à l'approche de la caisse, sentant que le bout de la queue qui se composait d'indécis, commençait à se délayer dans le passage des badauds, il en remit une couche en prenant un maximum d'inspiration :
- Approchez, approchez, les phénomènes mondiaux sont so…
- Tu t'appelles comment ?
L'harangueur baissa sa face rougeaude pour détailler la minuscule poupée blonde qui l'avait interrompu. Du haut de ses 5 printemps, Lily Blup toisait le moustachu tout en réitérant sa question :
- Tu t'appelles comment môssieur ?
- Fais la queue petite, comme tout le monde...
Jetant un regard circulaire, pour tenter d'apercevoir les parents de Lily, il sentit la jambe de son pantalon qui se faisait tirer fortement.
- Qu'est ce qu'il y a là dessous ?
Le bonimenteur fit l'effort de se plier en deux pour planter sa face rubiconde devant la moue enfantine.
- Écoute, microbe, si tes parents te payent la place, tu pourras le savoir, sinon dégage, je travaille !
Lily, en le regardant dans les yeux, lui sourit et dit :
- Mais moi, je peux travailler avec toi ?
- Ah ouais, lui répondit-il en se relevant et crachant habilement sur un poteau bariolé du chapiteau, qu'est-ce que tu ferais d'intéressant pour moi, t'es un phénomène ? Tu sais faire des trucs, et il lui lâcha un rire aussi gras que méprisant.
Lily réfléchit un instant et dit très sérieusement :
- Oui je suis pésiale comme disait Nounou.

Voyant le mur de graisse hausser les épaules, la petite fille se mit alors à sangloter, puis à hurler. Abasourdi, voyant le tourbillon du scandale devenir imminent, notre bonimenteur fit un signe de tête entendu au nain qui se tenait près du chapiteau :
- Petite petite, voyons voyons, va donc voir Gus là au fond, c'est un magicien qui recrute...
- Sans aucun doute il te fera disparaître la drôle, ricana-t-il dans sa moustache en voyant la gamine ravie s'éloigner. Ce n'était pas le moment de perturber le plan en marche. En voyant la petite se glisser sous la tente, il sourit et recommençait son bagou, devant les quelques personnes attirées par les pleurs de Lily. Il allait le conclure quand des cris inhumains se firent entendre, il se tourna à temps pour voir le nain sortir en titubant, pâle comme un linge, prêt à s'effondrer au moindre souffle de vent. Le nain arriva comme un mort-vivant près du maître des monstres, tourna vers lui et bégaya :
- Elle.... e elle .... ses...ses yeux...ses....
Ce furent ses dernières paroles. Etouffant un rire jaune, notre moustachu ne se laissa pas démonter par des condoléances et de sa voix gutturale reprit son argumentaire :
- Regardez bonnes gens la facétie et la force de nos comédiens.... la mayonnaise a-t-elle pris ? Hahahaha !
Puis il fit un geste éloquent à la Sécurité. Celle-ci, incarnée par les pirouettes de Yog et Ourt, frères siamois partageant la même foi dans l'art de l'acrobatie, s'empressa alors avec grâce de faire disparaître le gênant petit corps de feu Gus.

« Bon sang, j'arriverais à finir mon programme ! » pensa-t-il en jetant un regard fébrile par dessus son épaule, il reprit son courage et ses esprits et son sourire par la même occasion et avala l'équivalent d'un wagon d'air quand une voix haut perchée et en colère, l'interrompit une fois de plus :
- Il n'y a pas de magicien là-dessous et le petit monsieur, il ne veut plus jouer avec moi !

Il exhala en gémissant et posa un oeil attentif, sur la gamine :
- Je... Qu'est ce que ... dis-moi, tu veux ma ruine ou quoi ? Qu'as-tu fait à Gus ? Et pourquoi tu ne veux pas me laisser tranquille ?
- Personne ne veut jouer avec moi, je suis trop pésiale !
Elle le regarda intensément. Il vit le gouffre, l'éternité, des milliards d'âmes souffrantes, des mondes s'engloutissant, des systèmes solaires tournoyant en perdition, des multitudes de morts possibles pour tout les êtres vivants de l'univers en une seconde. Il chancelait tout en murmurant :
- Je… on voulait juste se débarrasser de leurs effets personnels quand ils seraient trop absorbés par le... le spectacle. Il tombait :
- Non par pitié, non, ses ... ses.... ses yeux...
Pétrifiés, les gens contemplaient la scène. Il se tourna vers eux, un filet de bave lui coulant de la bouche, puis lentement comme une marionnette attachée à des élastiques, il se tourna vers la caisse, l'ouvrit en sortant des liasses de tickets, et parla en chantonnant, à la foule des badauds... :
- Je...j'ai toujours été un escroc, il n'y a rien d'extraordinaire là-dessous, que des artifices et des postiches, du maquillage et des effets de lumières, et en plus, on dépouillait les pauvres gens que l'on avait appâtés, allez vous rendre compte par vous-mêmes, et dites aux pauvres créatures humaines que j'exploite, qu'elles sont libres, qu'elles peuvent partir, donnez leur ses billets de ma part… moi, je crois que je... que je vais aller vois ma pauvre vieille maman...

La foule surprise, dubitative, ne savait comment interpréter ces instants confus... Était-ce un préambule au spectacle ? Était-ce de ces nouvelles scènes avant-gardistes ? Certains s'éloignèrent les mains vides ou pleines, d'autres s'avancèrent vers le chapiteau. Tout ce que l'on sait, c'est qu'on ne revit jamais ceux qui prirent le parti d'y pénétrer... D'ailleurs, à l'aube, le cirque avait disparu sans laisser de traces de leur nouvel itinéraire. Certains prétendent avoir vu son chapiteau bariolé à une mission de la croix rouge, d'autres n'eurent tout bonnement aucuns souvenirs de cette journée-là, certains pensionnaire furent aperçus dans un film de Fritz Lang, quant à Lily...ah Lily, ceux qui l'ont vue ont certainement du changer leurs mauvaises petites manies, du reste il semble que l'on ait entendu parler d'elle, 60 ans après... Elle avait toujours 5 ans et ce regard que l'on préfèrerait oublier...

FIN
 

Publié dans Contes à plusieurs

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